Stéfanie BOURDON - Peintures

Vendredi, 5 Décembre, 2014 - Samedi, 13 Décembre, 2014
Jeudi, 4 Décembre, 2014 - 18:30 - 21:30

Dans l’atelier, « La pratique de l’art » d’Antoni Tapiès voisine « L’œuvre imprimé » de Pierre Soulages.

Forte de son expérience de cours de dessin et de modèle vivant, Stéfanie Bourdon (1972) se dit  aujourd’hui « amoureuse du noir et du blanc ». Un champ d’investigation qu’elle ressent comme infini. « Le noir est une couleur » fut le titre de l’exposition qu’Aimé Maeght  donnait en 1946 pour l’ouverture de sa galerie. Dans ses « Ecrits et propos sur l’art », Matisse définissait le noir comme une « couleur de lumière ». Celle-ci crée des climats distants, des atmosphères qui ne se limitent pas à celle du deuil, ainsi en est-il t’il chez Redon, Manet ou dans les estampes japonaises. De Saura à  Marfaing, Feito, Stella ou Kline jusqu’à Reinhatdt, nombreux en sont les témoignages dans la peinture du XXème siècle.

La toile de coton ou de lin constitue pour elle un terrain au sens premier du terme –fertile- à l’image de ce qu’elle nomme son propre  « chaos ». Dans la mythologie grecque, Chaosest une entité primordiale d'où naît l'univers.

Ainsi, Stéfanie Bourdon  déclare « attaquer » son travail sans idée préconçue, animée seulement de son esprit libre, l’œil en alerte, moteurs de son processus créateur qu’elle dit vivre comme un « corps à corps »

L’artiste ne s’attiédit pas dans des techniques compassées. Au cœur de sa démarche, la peinture ne constitue que l’un de ses matériaux. Son acrylique dilué devient jus, riche tantôt d’effets de transparence, tantôt d’étranges grumeaux maturés par l’effet siccatif. Carborundum, poudre de marbre, sables calibrés : étalés traduisent brillances ou « matitudes » des gris, beiges ou grèges.

Son outil favori ? Il s’apparente au couteau-palette mais elle lui préfère la souplesse et la finesse… de la carte de tram avec laquelle elle incise, scarifie, racle…Elle caresse le support de ses doigts. C’est sa « nonchalance maîtrisée » dit-elle. Aux zones de tempête répondent des planéités. Cartons, papiers de verre, gazes stériles sont piégés dans la matière picturale : à l’observateur de se laisser égarer entre cratères, abîmes aquatiques, pics minéraux ou foisonnements végétaux. Une luminescence au clair de lune nimbe le tout.

Elle cite volontiers Soulages, le créateur  de l’ « outrenoir » : « C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche », disait-il en 1953. En 2012, reprenant le sujet, il précisait: « L’outrenoir » auquel je suis arrivé après une nuit blanche à songer aux barbouillis dont je ne sortais plus, ne désigne pas un effet optique, mais mental  qui nous habite à partir d’une émotion esthétique (le cas de la lumière qui surgit du noir). Il y a trente ans que je le pratique et je rencontre toujours du neuf, pourquoi m’arrêterai-je ? »[1]

«Frénétique » ou « acharné » ? Des adjectifs qui qualifieraient ce travail périlleux et répété à l’envi, de gestation de Stéfanie Bourdon, à l’origine d’un monde en dominante noire-grise-blanche, au cœur de laquelle l’équilibre final fait l’objet de sa « foi ». Cette artiste est à sa manière un « commando » de la peinture ; elle va à son abordage…et réfléchit chemin faisant.

Avec  Stéfanie Bourdon, le regard doit sans cesse  se camper « out of the box » ; ce distanciement par rapport aux limites du cadre qui lui est nécessaire pour animer le travail et lui trouver un achèvement. C’est le moment ultime où, cette artiste, maman par ailleurs, se résout à rompre l’univers des noirs déclinés. Point d’orgue, elle décidera alors, et en tant que femme, de «marquer» symboliquement sa composition d’un cercle au contour coloré. Elle aura, là aussi, donné une vie.

Michel VAN LIERDE                Juin 2014



[1] Entretiens avec Roger Pierre Turine, La Libre Belgique 29 octobre 2009 et 3 janvier 2012